Invité
when the sun goes down
Il a le cœur au bord des lèvres, l'attention à vif et l'œil qui scrute, qui fouille vainement l'obscurité. À l'extérieur, Oz est toujours sur le qui-vive, toujours. Trop habitué aux remparts rassurants du District, aux zones sécurisées, barbelées, trop habitué à être encerclé de chiens de garde dressés pour les protéger. Il n'a jamais eu peur du noir, mais dehors, l'absence de couleur prend une drôle de symbolique ; elle devient ce rideau opaque qui masque le monde autour de lui, elle devient cette cachette où se tapissent les peurs les plus terribles. Partout où le faisceau de sa lampe torche n'est pas, il pourrait y avoir un clicker prêt à se jeter sur eux, il pourrait y avoir un sol accidenté prêt à l'avaler, à le piéger dans les tréfonds d'une terre meuble et retournée. Il a déjà vu ça : des hommes et des femmes qui se faisaient punir par la croûte terrestre elle-même, comme s'il avait fallu que la planète se venge de l'outrage qui lui avait été fait. Dans la liste des dangers de l'extérieur, ces accidents-là n'étaient pas les plus redoutés, ni les plus courants ; pourtant, ils possédaient une sorte d'absurdité absolue qui l'avaient toujours terrifié, et s'il ne croyait en aucun Dieu, Oz ne pouvait s'empêcher d'y lire un genre de punition divine. Si tant est qu'on considère la terre foulée comme une idole digne de ce nom : si tel avait été le cas, sans doute n'aurait-elle jamais fini dans cet état. Quoiqu'il fallait reconnaitre que les humains avaient la fâcheuse tendance à aimer détruire les objets de leur affection – comme les jeunes enfants avec leurs jouets.
Les pas sont précautionneux, mais rapides. Ils foulent ce mélange de bitume et de bouasse meuble – mélange parfois indéfinissable à laquelle se mélangeaient des morceaux de ferraille coupante, ou de verre brisé. Autant dire qu'il valait mieux faire attention où vous foutiez les pieds.
Il n'aimait pas beaucoup cet état d'alerte constant dans lequel il était plongé quand il se retrouvait balancé à l'extérieur ; il avait été contraint de s'y faire – ou plutôt d'apprendre à mordre sa chique – durant les deux années de son service militaire, mais il ne s'était jamais suffisamment habitué pour que sortir lui paraisse aussi naturel qu'à d'autres. Pire, certains chérissaient cet état de liberté retrouvée en quittant les carcans des murs érigés, certains appréciaient les rushs d'adrénaline déployés dans leurs veines à chaque nouveau pas en dehors de ces derniers. Il n'était pas de ceux-là, sans doute pas encore assez philosophe pour apprécier l'idée d'une mort imminente avec sérénité.
Pour autant, il ne bronchait jamais, lorsqu'on avait besoin de lui. Encore moins lorsqu'il s'agissait des Fireflies, dont les effectifs médicaux étaient relativement serrés ; il savait qu'il n'aurait jamais sa place dans aucun raid, et doutait même parfois d'arriver à faire avancer quoi que ce soit dans les recherches de cure que ceux-ci avaient continué. Le moins qu'il pouvait faire, c'était de se rendre utile lorsqu'il le pouvait, lorsqu'on le lui demandait.
C'était Navin, qui était venu le chercher ce soir-là, dans l'aile de l'hôpital occupée par les scientifiques du groupuscule. Il avait le visage peint d'un air agité qui ne lui ressemblait pas tant que ça – du moins, du peu qu'Oz avait été autorisé à observer chez lui. Les explications avaient été concises, d'un pragmatisme de coutume : le convoi précédent, envoyé au sud de la cité pour récupérer certaines ressources importantes, avait été intercepté par une bande de Hunters au moment de traverser leur territoire. Sur les quatre fireflies envoyés, un seul avait réussi à rejoindre le quartier général à pieds ; selon ses informations, deux avaient été blessés, et un était resté avec eux, enfermé dans la voiture endommagée pour les surveiller et les défendre si d'aventure des infectés s'amusaient à pointer leur nez.
La demande de Navin était simple : accompagner deux recrues de la branche action pour repérer leurs alliés dans le territoire des Hunters, évaluer leurs blessures et les ramener sains et saufs – si possible. Quant au pick-up planté, celui-ci était bien trop précieux pour qu'ils se permettent de le laisser sur place, comme un môme se contenterait de jeter un jouet cassé ; ils avaient appelé Daniella, pour ça.
Ou Dani, comme il l'appelait certaines nuits.
Il était presque ironique de constater la manière dont ni l'un ni l'autre ne s'était accordé un mot, depuis qu'ils avaient mis le pied hors de la voiture, et qu'ils s'étaient aventurés sur le territoire des Hunters : un manque de sollicitude qui aurait pu faire sourire, si quiconque avait eu vent de ce qu'il leur arrivait de partager. Des moments, des instants. Des soupirs, parfois des sourires ; un certain goût pour le pire, rarement pour le meilleur. Et puis, cette féroce prédisposition aux leurres.
Oz et Dani se connaissaient sans le faire, ils se connaissaient à la manière des amants de parfois, des flirts saisonniers. Du bout des doigts, sans jamais avoir vraiment osé se décrypter ; car se connaître vraiment, là aurait été la véritable indécence, le manque de pudeur réel. Ils étaient tous les deux de cette génération pessimiste qui était née après l'apocalypse : pour eux, c'était la naïveté qui était obscène, c'était l'aspiration à la tendresse létale des corps innocents, c'était, d'encore croire pouvoir aimer comme avant.
Ils se donnaient ce qu'ils avaient avec une délicatesse fourbe et retenue ; de celle qui craint sans cesse le trop, qui chérit le rêve d'une étreinte avant de la colorier en gris. Ils se disaient certainement que c'était tout ce qu'ils ne pourraient jamais être, ce que le monde les autorisait à devenir. Peut-être étaient-ils dans l'erreur, mais c'était avec grâce, qu'ils habitaient ce leurre.
Oz et Dani ne se tenaient pas la main.
Ils ne se tenaient pas côte à côte, pour parcourir le chemin. Pour tout dire, c'était même rare qu'ils s'adressent un regard ; pas là, pas maintenant. Ils avaient leurs moments, et celui-ci n'en était pas un. Il le savait très bien.
De toute façon, sans doute avaient-ils bien d'autres préoccupations pour les tenir ; il n'y avait qu'à voir la posture vigilante de Edna, là devant lui. Elle a fait signe au petit groupe de s'arrêter, écartant la paume vers l'arrière pour les stopper, puis a semblé tendre l'oreille.
Les cliquetis qui résonnent soudain lui glacent le sang. Ils sont trop lointains pour être immédiatement alarmants mais ils planent, comme le fantôme d'une menace.
Soudain, c'est un bouillon d'adrénaline qui lui mitraille le cœur, et par réflexe, son regard cherche la posture trapue de Gassan, qui s'alarme un peu plus loin. L'arme à son poing lui semble lourde, stupide ; il sait comment s'en servir, mais il sait aussi que si un clicker surgit, elle lui sera aussi utile qu'un bouquet de fleurs. Il n'a jamais été un soldat. Et s'il s'était toujours félicité de n'avoir jamais voulu l'être, d'avoir en répulsion toute forme de violence, il se sentait à cet instant stupide de n'avoir pas été plus attentif aux leçons de maniement d'armes.
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Le silence est assourdissant, seulement troué avec quelques cliquetis sinistres ; et s'il n'avait pas été tant au fait de l'anatomie humaine, sans doute aurait-il craint de voir son cœur perforer sa cage thoracique, pour se projeter hors de celle-ci. Même son propre souffle lui semble acide, étouffant, chargé d'une bile noire qui lui pétrifie les muscles.
Osman a peur, c'est un fait. Mais il sait qu'il serait un imbécile, si ce n'était pas le cas.
Puis soudain, les silhouettes surgissent, à quelques mètres à peines.
Oz et Dani ne se tenaient pas la main.
Sauf cette fois, lorsqu'en courant, ses doigts se sont saisis des siens.
- PNJ utilisés:
EDNA FLINKMAN
31 ans
Branche action des Firefliesd6
GASSAN ZEMZEMI
37 ans
Branche action des Firefliesd14