Invité
L’air froid de mars tente de se faufiler au sein de la maison familiale, se glisse aux coins des vitres et sous la feinte de la porte d’entrée. Il cherche à se faire une place au sein de la demeure, loin du dehors qui lui appartient déjà. Mais quelque chose l’en empêche. Peut-être est-ce la simple chaleur que les radiateurs offrent à l’appartement. Peut-être est-ce celle qui émane de la cuisine, du repas que Taeri finit de réchauffer. Des produits que beaucoup ne pourraient jamais se permettre d’obtenir, que ses rations privilégiées lui offrent avec douceur. Les épices ne sont pas vraiment celles de son enfance, mélanges de ce nouveau monde qu’elle a été forcée d’accepter. La nourriture qui prend place sur la table est aussi authentique que le district le permet, remplit la salle d’une douce odeur.
Elle n’a pas à attendre bien longtemps, Taeri, avant que quelques coups soient offerts à sa porte. L’heure offerte pour le déjeuner n’est pas généreuse pour tous, bien qu’elle puisse se permettre de rentrer chez elle pendant la sienne. Aujourd’hui, c’est sa compagnie qui la pousse à le faire. Hector est invité avec douceur, un large sourire aux lèvres, alors qu’elle le mène au travers de l’appartement qu’il connait déjà. Il la connait mieux que quiconque, ce à quoi elle n’ose pas souvent penser. Elle qui s’est ouverte à lui quand elle n’était qu’une patiente, voilà qu’elle se prend à se taire alors qu’ils sont devenus amis. Peut-être parce qu’elle craint qu’il la juge, loin des murs professionnels de son cabinet. Ou peut-être est-ce simplement parce que les doutes qui s’entrechoquent dans son esprit la forcent à rester silencieuse, elle qui sait bien ce que quelques phrases peuvent bien offrir. Et pourtant, c’est à cause de ces quelques phrases interdites, ces quelques questions qu’ils sont là, chez elle, et non au dehors.
Taeri se contente d’une conversation des plus banales lorsqu’ils s’assoient, alors que la nourriture disparait lentement. Et puis le silence la trouve, alors que son regard est perdu dans le fond de son verre d’eau. Elle aimerait pouvoir se penser calme, jouer de Hector comme elle se joue parfois du monde. Mais elle le sait bien, dans le fond, qu’il voit au travers d’elle comme peu d’autres peuvent. Souvenirs lointains des heures qu’il a passé à la faire parler, à partager ce qui lui pesait lourd.Have you had a chance to go by Forest Hill yet? qu’elle demande innocemment.They have me working with some of the kids there sometimes. Son regard trouve celui de l’ami, essayant sans pour autant y parvenir, de dissimuler les doutes au psychologue.The air is so fresh there, I’m almost jealous! Le rire sonne faux, résonne entre sur sa langue sans pour autant briller dans le fond de son regard. C'est une pensée qu’elle n’offrirait pas à n’importe qui, pas alors que les murmures de rébellion flottent dans chacune des rues. Il sait bien qu’elle ne quittera jamais le district, Taeri, elle dont le cœur est presque devenu un avec le régime. Et pourtant.I guess I get why some people wanted to move there. Et pourtant, ses doutes grandissent doucement. Comme le cordyceps qui continue de détruire l’humanité, ils se propagent sous sa peau, dangereusement proches de son cœur.
Elle parle de douceur et d’air frais.
Les murs de sa demeure hurlent un secret qui ne peut être partagé.
Son regard murmure le nom d’une fille qu’elle n’a pas trouvé.