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blood, toil, tears and sweat.


avec @Solveig Fuller


– C'est bon, c'est rien.
– C'est pas rien, Jeon. T'es en train de nous dégueulasser les tapis…
Goutte après goutte, le carmin s’écrase sur ses bottes. La rigole de sang s’épaissit par endroits mais c’est que le cuir chevelu, légèrement dramatique, a pour habitude de laisser filer sans pudeur. Un crâne, ça s’ouvre sous n’importe quel prétexte et Locke ne s’inquiète plus des écorchures tant qu’il n’a pas la gerbe ou une hésitation quant à la date du jour.
– C’est vrai, renchérit un troisième peacekeeper face à lui. T’es tellement félé, on peut te voir la cervelle alors qu’faut toujours la chercher.
Ils ricanent à plusieurs, s’imaginant qu’ils sont là de bons camarades. Ils ont les rudes manières et coutumes des soldats, c’est-à-dire l’affect nécessaire à protéger ses adelphes d’armes mais le détachement suffisant pour se permettre de les voir mourir un jour ou l’autre – et plutôt demain que dans dix ans.
– Putain, t'en as foutu partout… tu vas me faire le plaisir de t’faire recoudre tout ça et revenir au pas de course nettoyer ton bordel.
Locke n’a rien dit, seulement encaissé chaque syllabe de chaque mot. Il est, du reste, assez vexé qu’une blessure aussi superficielle fasse l’objet d’une conversation toute entière. Il n’apprécie guère les regards de ses compagnons attardés sur lui. Il n’aime guère leur attention en général. Il y a déjà trop peu de temps qu’il ne surprend plus leurs mirettes pleines d’une vigilance fauve posées sur lui. Et c’est un soulagement constant. Tant qu’ils se foutent de sa gueule, ils négligent la présence fantomatique de Trish dans leur sinistre compagnie. Pas qu’ils aient du mal à faire le deuil mais parce qu’ils croient soigner le sien.

Dès le moment où ils sont débarqués dans le District, l’on compte les armes et les équipements, on range ce qui passe sous verrou et l’on se sépare selon ses obligations. Repos immédiat pour certains, rapport pour les autres. Et passage par l’infirmerie pour les imbéciles qui se sont éclatés la tête dans la mêlée. Après quelques points de suture, Locke se promet d’aller leur coller une raclée à n’importe quel jeu dont les soudards ont la spécialité. Et, ainsi, rempailler son orgueil en abîmant le leur.

Son sang, naturellement, attire quelque peu l’attention. « Je peux vous aider ? » « Non. » Locke répond d’un ton brusque. Il a reconnu Solveig, qu’il ne cherchait pas mais qu’il est bien content d’apercevoir.  Les compétences de la traumatologue vont bien au-delà de ce dont il a besoin – inutile d’être médecin pour le savoir – mais le prétexte est tout trouvé pour se dérober aux mains mal assurées de l’infirmier qui s’est approché. Il veut des sutures propres et rapides. Et pas de questions. Sans rechigner à se tenir dans les endroits de soin comme celui-ci, ils ont la trop fâcheuse tendance à lui rappeler sa vulnérabilité. C'est une chose de mourir. C'est même une chose de se faire mordre. Mais survivre… Parfois, survivre, c'est pire que tout. C'est toute la fragilité de son corps qui rejaillit, sa propre faillibilité qui éclabousse, tous ses défauts, exposés, exhibés sous la forme de blessures, de fractures, plus ou moins physiques d'ailleurs. Il ira donc à l'essentiel et Locke n'y réfléchit pas du tout quand il tranche les allers et venues pour la trouver. « Sol. » Ils se connaissent bien. Devant elle, Locke ne s'oblige plus tellement à son numéro du super-soldat. Du moins, quand ils sont seuls. Ils ne l'ont plus été depuis quelques temps. Longtemps ? Il ne saurait plus dire. Cela ne l'empêche pas de se présenter comme s'ils s'étaient parlés de banalités pas plus tard que la semaine dernière. C'est, il croit, la force de cet étrange compromis qu'ils ont trouvé : ils tirent chacun très égoïstement un avantage de cette association. Ç’a pu être purement charnel. C'est peut-être devenu autre chose. Ce jour-là, ç’a l'air d'une vieille amitié que Locke mettrait à profit pour se faire soigner par une chirurgienne trop compétente et trop occupée pour ce genre de basse besogne. « T'as cinq minutes pour me recoudre ça ? » Il expose un carré de front détrempé, bien lacéré mais qu'on a pris le temps de purger sur le moment et de compresser ensuite. C'est surtout moche à voir mais ça ne choquera personne ici. « Laisse un gars crever dans un coin s'il faut, je te couvrirai, il ajoute de son sourire caractéristique, à la fois narquois et méchant, sans qu'on puisse mesurer son véritable fond. »